Spécisme / antispécisme — Une introduction

Publié le 14 octobre 2023

Le spécisme: un rapport de domination et une discrimination injuste sur la base de l’appartenance à l’espèce

Le spécisme, un rapport de domination systémique

Le spécisme est un rapport de domination soutenu et légitimé par des institutions et des idéologies, permettant l’utilisation des autres animaux en tant que moyens de fins humaines. Cette domination est notamment rendue possible par l’exercice de violences. Loin d’être exceptionnelles, elles constituent la norme de nos rapports avec les autres animaux. En effet, il est presque impossible de trouver un domaine de la vie humaine qui ne repose pas sur leur soumission douloureuse au bénéfice d’intérêts humains, ainsi que le décrit bien Enrique Utria:

«Leur sang clarifie nos vins. Leur sang séché et leurs plumes sont notre engrais. Leur fumier est un fertilisant. Leur graisse est dans nos savons. Leur graisse est dans nos murs - dans la peinture et dans les biocombustibles des cimenteries. Leur peau est nos chaussures. Leur peau est sur nos fauteuils. Leur peau est sur nos portes-monnaies. Leur peau est sur nos sacs à main. Leur vessie filtre nos jus de fruit. Leurs os blanchissent les sucres de nos cafés. Leur chair est notre viande. Ils sont nos donneurs d’organes, les testeurs et les goûteurs de toute molécule introduite sur le marché. Tous les actes de la vie humaine sont scandés par des portions, des traces, des effluves de leur cadavre et de leurs produits dérivés.» (Utria, 2016, p.6)

Les violences spécistes comprennent par exemple l’usage de la force physique, ou sa menace, l’élaboration des lois autorisant la mise à mort d’individus en vue de leur consommation, ou encore, les visuels publicitaires montrant des animaux se découpant eux-mêmes en morceaux et ceux faisant des animaux des produits de consommation sur pattes. Ces différentes violences fonctionnent de concert, elles sont systémiques. Il est donc important de ne pas les considérer indépendamment les unes des autres. Elles ne sont pas le fruit d’un malheureux hasard, mais découlent d’une organisation générale de la société au service de la domination humaine. Le bon exercice de cette domination ne se fait pas en un claquement de doigt, il requiert à la fois l’appui des institutions (politique, économique, judiciaire, juridique, culturelle, médiatique), le soutien des systèmes de croyances, et la participation active et/ou passive d’individus socialisés aux normes dominantes.

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Marche pour la fin du spécisme à Genève en 2018.

Le spécisme, une erreur de jugement éthique

D’un point de vue moral, le spécisme est une discrimination, c’est-à-dire un traitement différentiel de deux individus, sur la base de l’appartenance à une espèce. La consommation d’un sandwich au «jambon» est par exemple une pratique spéciste car elle favorise les intérêts des humain·e·s au détriment de ceux des cochons. De la même manière, il est spéciste de manger des veaux et de refuser de manger des chiots parce qu’ils appartiennent à des espèces différentes, tout comme il serait spéciste de décider de sauver un chat d’un incendie et non pas un être humain en basant ce choix uniquement sur l’espèce de ces deux individus.

Contrairement à ce que nous entendons parfois dans les médias, l’antispécisme ne remet donc pas en cause l’existence des espèces animales. Il est effectivement possible de reconnaître l’existence des espèces, tout en refusant de discriminer les chevaux et les truites par exemple (Jaquet, 2018). Il n’est pas non plus spéciste de penser que les humain·e·s sont plus doué·e·x·s que les tortues pour les débats politiques, ou que les chauves-souris arrivent mieux à évoluer dans l’obscurité que les êtres humains. En effet, l’égalité animale revendiquée par le mouvement antispéciste ne concerne pas les capacités physiques et/ou psychologiques possédées par les individus appartenant à différentes espèces. De plus, l’égalité de droits qui y est défendu n’implique pas d’accorder les mêmes droits à tous les individus sentients, mais seulement lorsqu’ils auraient des intérêts comparables. Les veaux et les chiots partageant l’intérêt à ne pas souffrir, il est injuste de négliger celui des premiers sur la base du critère d’espèce. Quant à l’exemple du sandwich au «jambon», il est injuste de favoriser l’intérêt gustatif des êtres humains par rapport à l’intérêt primordial des cochons à ne pas souffrir et à ne pas être tués. Pour autant, les cochons, les veaux et les chiots ne partagent pas l’intérêt des humain·e·s à bénéficier d’un accès facilité à la culture, et les antispécistes ne demandent donc pas à ce qu’ils puissent le faire. La discrimination spéciste est par ailleurs une discrimination injuste car elle bafoue le principe d’égalité qui veut que les cas similaires sont traités de manière similaire, sauf s’il existe un critère moralement pertinent justifiant un traitement différent. Aujourd’hui, la plupart des chercheur·euse·s en éthique animale s’accordent à dire qu’il n’existe «aucune raison valable de penser que les animaux non humains sensibles n’ont pas, tout autant que les êtres humains, intérêt à ne pas souffrir, à ne pas être tués et à ne pas être asservis [...].» (Giroux, 2017, p.451) Ainsi, les 80 milliards d’animaux terrestres et les plus de 300 milliards d’animaux aquatiques tués chaque année pour l’alimentation humaine sont victimes d’une discrimination injuste. (ONUAA, 2019)


¹ Dans la mesure du possible, nous utilisons les autres animaux ou les animaux non humains pour rappeler que nous faisons également partie des animaux, et souligner que nous n’avons pas de position au-dessus des autres espèces, ou à part.

² La sentience constitue la «capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc., et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie». (Larousse, s.d.)

Références

Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture [ONUAA], 2019, Données ONUAA, consultées le 05.12.2020.

Giroux, Valéry, 2017, Contre l’exploitation animale: un argument pour les droits fondamentaux de tous les êtres sensibles, Lausanne, L’Âge d’Homme, 514 p.

Jaquet, François, 2018, «Spécisme (A)», dans Maxime Kristanek (dir.), L’Encyclopédie Philosophique [en ligne], consulté le 08.10.2023.

Utria, Enrique, 2016, Essai sur les droits des animaux, thèse de doctorat, Université de Rouen, 362 p.

Pour aller plus loin

L’Amorce, revue contre le spécisme (en ligne)

Comme un poisson dans l’eau, podcast contre le spécisme (en ligne).

Ballast, revue, Série “Luttes animales, luttes sociales, 2022 (en ligne).

Boisjean, Elias et Bondon, Roméo, 2021, Cause animale, luttes sociales, Paris, Le passager clandestin, 240 p.

Burgat, Florence, 2018, Être le bien d’un autre, Paris, Rivages, 128 p.

Delon, Nicolas, 2017, «L’animal d’élevage compagnon de travail. L’éthique des fables alimentaires», dans Revue française d’éthique appliquée, Vol. 4, n°2, pp. 61-75

Donaldson, Sue et Kymlicka Will, 2016, Zoopolis. Une théorie politique des droits des animaux, Paris, Alma éditeur, 404 p.

Fernandez, Jonathan, 2015, «Spécisme, sexisme et racisme. Idéologie naturaliste et mécanismes discriminatoires», dans Nouvelles Questions Féministes, Vol. 34, n°1, pp. 51-69

Giroux, Valery, 2020, L'antispécisme, Que sais-je ?, PUF, Paris, 128 p.

Jeangène-Vilmer, Jean-Baptiste, 2011, L’éthique animale. Que sais-je, PUF, Paris, 127 p.

Ko, Aph et Ko, Syl, 2017, Aphro-ism: Essays on Pop Culture, Feminism and Black Veganism from Two Sisters, New York, Lantern Publishing & Media, 202 p.

Pelluchon, Corine, 2017, Manifeste animaliste: politiser la cause animale, Paris, Alma éditeur, 111 p.

Playoust-Braure, Axelle, 2021, «Viande», dans Dorlin, Elsa (dir.), Feu! Abécédaire des féminismes présents, Paris, Libertalia, pp. 631-646.

Traïni, Christophe, 2011, La cause animale (1820-1980): essai de sociologie historique, Paris, PUF, 233 p.

Wadiwel, Dinesh, 2015, The war against animals, Leider, Brill, 314 p.