Publié le 7 avril 2025
Épisode #1 de notre série d'animation consacrée aux aspects méconnus de l'élevage
L’insémination artificielle s’est progressivement développée en Suisse à partir des années 1960, parallèlement à l’essor de la zootechnie. Dans une logique de performance économique visant à améliorer les rendements de la production laitière et de viande – au détriment des intérêts des individus exploités –, cette méthode de reproduction va de pair avec la sélection et l’optimisation génétiques. Sous l’égide de l’entreprise Swissgenetics, celle-ci est aujourd’hui devenue prédominante dans l’élevage bovin suisse, si bien qu’elle est à l’origine de 85% des naissances de veaux (Neff, A. S., & Ivemeyer, S., 2016). La reproduction artificielle ne se limite toutefois pas seulement aux vaches; également dominante pour les naissances de porcelets (Luther, 2015) et de poissons, elle est aussi pratiquée pour les chèvres, les moutons, et même les chevaux (OSAV, 2024a).
Comment ça fonctionne, une insémination artificielle?
Dans le cas de l’insémination d’une vache, celle-ci est placée dans une cage de contention empêchant tout mouvement de résistance. D’une main, le ou la technicien·ne insère l’instrument d’insémination aussi profond que possible dans le vagin. L’autre bras est inséré dans le rectum, de manière à pouvoir guider l’instrument au travers des parois vers le col de l’utérus pour y déposer la semence (Swissgenetics, 2025).
Dans le but d’optimiser la production laitière des vaches, celles-ci sont inséminées pour la première fois le plus tôt possible – à un âge de 22 à 26 mois. Après neuf mois de gestation vient la naissance du veau (le vêlage), qui est directement retiré à sa mère afin que l'on puisse lui prendre son lait. S’il s’agit d’un veau mâle, il sera engraissé pendant 24 mois avant d’être envoyé à l’abattoir. S’il s’agit d’une femelle, elle connaîtra le même sort que sa mère. L’insémination suivante est effectuée seulement trois mois après la mise bas, de manière à obtenir une naissance par année pendant 4 à 6 ans. Alors qu’elles pourraient vivre 15 à 20 ans, les vaches sont alors abattues car leur production laitière commence à baisser avec l’âge et elles ne sont plus considérées comme étant assez rentables.
De manière à pratiquer plusieurs inséminations au même moment et ainsi obtenir plusieurs naissances simultanées, il est possible de synchroniser les chaleurs des vaches d’un troupeau via un traitement hormonal. Pour les vaches remportant des prix lors de concours laitiers comme celui de SwissExpo (sponsorisé par Swissgenetics), il est même devenu commun de réaliser des transferts de leurs embryons vers les autres vaches du troupeau, afin de donner naissance à plusieurs veaux ayant les mêmes géniteur et génitrice. Sur le papier, leur patrimoine génétique permet de les revendre à prix d’or.
S’ils ne sont pas au premier plan de la reproduction artificielle, les taureaux d’insémination en sont pourtant un rouage essentiel. Exploités pour leur sperme dans des élevages spécialisés, par exemple à Mülligen (AG) et Langnau (BE), les taureaux sont tirés par leur anneau nasal en salle de monte deux fois par semaine. Afin de stimuler l’éjaculation, on les fait chevaucher plusieurs fois un mannequin ou un taureau boute-en-train, c’est-à-dire un mâle castré servant d’objet sexuel. L’éjaculat est alors récolté au moyen d’un vagin artificiel, et l’opération est souvent répétée une seconde fois. La semence est alors identifiée, analysée, traitée, séparée en doses (appelées paillettes) et congelée dans l’attente d’une insémination. Selon le taureau, un seul éjaculat permet de produire entre 100 et 1000 doses de semence, qui se vendront en moyenne entre CHF 30.- et 80.-, voire bien plus dans certains cas (Swissgenetics, 2025). Les entreprises peuvent ainsi tirer des taureaux qu’elles exploitent un chiffre d’affaires de plusieurs millions de francs par individu.
On estime à moins de mille le nombre de taureaux d’insémination exploités en Suisse, alors que le pays compte plus de 680’000 vaches (OFAG, 2023) inséminées chaque année. La diversité génétique qui en résulte est dès lors nécessairement très basse, mais rien n’est laissé au hasard: en fonction de leurs objectifs de production, les éleveurs·euses choisissent la semence sur la base d’un catalogue détaillant les caractéristiques génétiques de chaque taureau. Pour les élevages choisissant de ne pas recourir à l’insémination artificielle et ne possédant pas de taureaux dans leur troupeau, des entreprises comme Vianco proposent des taureaux en leasing pour s’accoupler avec les vaches.
Bien que l’entreprise Swissgenetics ne soit pas la seule active en Suisse dans le domaine de l’insémination artificielle, elle domine néanmoins très largement ce marché. Rien qu’en 2022, grâce aux 200 taureaux qu’elle exploite, elle a vendu 1’330’000 doses de semence (Schretr, 2024). Un tiers des ventes est effectué à l’étranger, dans une quarantaine de pays répartis sur tous les continents. Avec ses 60 millions de francs de chiffre d’affaires, l’entreprise est un poids lourd de l’élevage bovin devenu indispensable à toute la filière.
Pierre angulaire de l’élevage intensif, l’insémination artificielle transforme les animaux non humains en machines à se reproduire. Quelle que soit l’espèce concernée, mâles comme femelles sont soumis à des pratiques répétées et invasives qui ignorent leurs besoins biologiques et leur bien-être émotionnel. Avant même qu’ils ne soient tués dans les abattoirs, ces individus sentients sont ainsi réduits à de simples outils de production au profit d’intérêts économiques d’entreprises comme Swissgenetics.
Luther, H. (2015, 15 juin). 25% des porcelets d’engraissement sont issus d’un verrat d’exploitation. Revue UFA.
Neff, A. S., & Ivemeyer, S. (2016). Différences entre vaches laitières bio conçues par insémination artificielle ou naturellement. Agrarforschung Schweiz, 7(10), 420‑427.
Office fédéral de l’agriculture (OFAG). (2023). Rapport agricole 2023.
Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). (2024). Établissements agréés pour la formation en insémination artificielle.
Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). (2024a). List of approved germinal product establishments for bovine, porcine, ovine, caprine and equine animals.
Schretr, N. (2024, 31 mars). Dans l’élevage laitier, le sperme de taureau vaut de l’or. Le Temps, consulté le 2 avril 2025.
Swissgenetics.ch. (2025). Consulté le 2 avril 2025.