«L'élevage engage!»

Pisciculteur·trice

Publié le 14 avril 2025

  • Conception et réalisation de la vidéo: Marcel Barelli
  • Documentation et texte d'accompagnement: Observatoire du spécisme

Épisode #2 de notre série d'animation consacrée aux aspects méconnus de l'élevage

La série d’animation L’élevage engage!, issue de la collaboration entre le cinéaste suisse Marcel Barelli et l’Observatoire du spécisme, propose un regard aussi mordant que factuel sur les coulisses de l’élevage en Suisse. En complément, un article sourcé présente chacun de ces thèmes.
Rendez-vous lundi prochain pour le 3e épisode!

Pisciculteur·trice

Toute forme d’élevage repose sur l’accès aux semences animales et à la reproduction artificielle – et la pisciculture n’y fait pas défaut. Celle-ci est souvent séparée en deux activités distinctes: l’élevage d’alevins (jeunes poissons), qui pratique la reproduction, et les fermes piscicoles, qui les engraissent. Bien que certaines fermes élèvent leurs propres alevins, cela est plutôt rare. Les importations jouent ici un rôle central, puisque «40% des œufs destinés à l’élevage sont importés de l’étranger» (Hidber et al., 2018, p. 357), de même que 60% des alevins des principales espèces de poissons élevés en Suisse (Ibid.).

La reproduction chez les poissons
Chez les espèces de poissons élevés en Suisse, la reproduction naturelle a lieu durant la période dite de frai, généralement entre l’hiver et le printemps. Les femelles pondent leurs œufs, et les mâles les recouvrent de leur laitance, c’est-à-dire leur sperme. Il s’agit ainsi d’une fécondation externe, et la durée d’incubation varie d’une espèce à l’autre et dépend de la température de l’eau. Les alevins atteignent généralement leur forme adulte de poissons après quelques mois, et leur maturité sexuelle après deux à quatre ans.

L’élevage de truites

Poissons particulièrement prisés dans la pêche amateur, les truites ne représentent en réalité que 4% des poissons pêchés dans les lacs et rivières suisses (OFEV, 2024), mais comptent parmi les principaux poissons élevés en pisciculture du pays (ASA, 2024). Pour leur reproduction en élevage, les truites sont sorties de leur bassin lors de la période de frai et anesthésiées. Le pisciculteur ou la piscicultrice presse fermement sur le ventre des femelles pour provoquer la ponte forcée de 1’000 à 4’000 œufs par truite, puis fait de même avec les mâles pour en extraire la laitance, et mélange le tout. Cette méthode peut provoquer des lésions irréversibles, voire la mort des géniteurs·trices. Les œufs fécondés sont ensuite placés dans des vases incubateurs jusqu’à l’éclosion des alevins. Ceux-ci sont alors placés dans de grandes cuves, et l’alimentation qui leur est donnée varie au cours de leur croissance: farine ou huile de poisson, blé, maïs, ou encore soja – des aliments «presque exclusivement produits à l’étranger» (Hidber et al., 2018, p. 357). Lorsqu’ils ont atteint leur taille d’abattage, les poissons sont généralement pêchés par un système de tuyaux qui les aspirent, et ils sont étourdis électriquement puis éviscérés.

L’élevage de perches

Bien qu’elles soient les principales victimes de la pisciculture comme de la pêche en Suisse, les perches indigènes ne représentent que 6% de celles consommées dans le pays. Les 94% restants sont importés, principalement de Russie, d’Estonie et de Pologne (Burnier, 2019). Pour toute la Suisse, la reproduction des perches se concentre presque exclusivement dans un seul bâtiment industriel de Chavornay (VD). Celui-ci fonctionne sur la base d’un système de ponte décalée en circuit fermé, où les perches reproductrices sont réparties en douze bassins distincts. De manière à simuler les conditions propices au frai, qui a normalement uniquement lieu au mois de mai, chaque bassin «reproduit artificiellement les conditions du lac, optimisé et décalé de plusieurs mois. Température, courant, taux d’oxygène, simulateur d’aube…tout y passe» (Le Bec, 2015). Chaque mois, un autre bassin vit donc son mois de mai. De la même manière que pour les truites, la fécondation est artificielle et l’incubation contrôlée de près. Quatre mois après leur éclosion, les alevins quittent l’écloserie et parcourent 150 km en camion, direction Rarogne (VS). Après huit mois d’engraissement en bassins intérieurs, les perches y seront abattues. Les poissons reproducteurs de Chavornay sont quant à eux exploités trois à quatre ans avant d’être «renouvelés» (ASA, 2024).

L'élevage de saumons

De manière à pouvoir vendre du saumon d’Atlantique labellisé swiss made, 40’000 œufs de saumon sont importés tous les deux mois par avion d’Islande aux Grisons. Pour imiter leurs conditions naturelles de vie, où les saumons naissent en rivière puis migrent en mer, ils passeront progressivement d’une cuve d’eau douce à une cuve d’eau salée simulant les conditions océaniques. Avant d’être abattus à 24 mois, les saumons sont privés de nourriture pendant une semaine afin de vider leur tube digestif; cela permet «[d’]améliorer leur qualité» et présente des «avantages hygiéniques pour la transformation du poisson» (Swiss Lachs, 2024).

La pisciculture au secours de la pêche

La population naturelle de poissons dans les lacs suisses n’étant pas suffisante aux exigences de rentabilité de la pêche professionnelle, cette dernière est tributaire de l’élevage d’alevins. Pour les ombles chevaliers ou les féras du Léman par exemple, les pêcheurs capturent des poissons lors de leur période de frai pour prélever leurs œufs et leur laitance et pratiquer une reproduction en écloserie. Après l’éclosion des œufs, les alevins sont relâchés afin d’être pêchés une fois adultes (Di Matteo, 2022). Bien que sujet à débat sur l’efficacité de la mesure, ce rempoissonnement est essentiellement pratiqué pour maintenir l’attractivité de la pêche professionnelle et de loisir, et éviter que des espèces ne disparaissent. C’est notamment le cas d’une espèce de féra endémique du Léman, disparue il y a déjà un siècle à cause de la pêche; les féras qu’on y trouve aujourd’hui proviennent donc des lacs de Neuchâtel et de Constance.

L’objectif annuel d’une coordination franco-suisse est de relâcher annuellement 15 millions de féras dans le Léman, sans compter des centaines de milliers d’ombles et de truites (Haddou, 2022). Seule une petite partie de ceux-ci survivent jusqu’à l’âge – défini par leur taille – auquel ils peuvent être légalement pêchés.

Une goutte d’eau

Quelque huit millions de poissons sont pêchés dans les lacs et rivières suisses chaque année (OFEV, 2024). Cela correspond à environ un tiers de la production indigène totale (en tonnes), le reste provenant de la pisciculture (ASA, 2024). Quoique astronomique en termes de victimes, cette production ne répond toutefois qu’à 4% de la consommation suisse, les 96% restants étant importés (Baumgartner & Bürgi Bonanomi, 2021). Un nombre vertigineux de poissons sont ainsi tués dans le monde pour finir dans les assiettes suisses, cela dans la plus grande indifférence des politiques. Les poissons sont si déconsidérés que le Conseil fédéral estime même que «les poissons ne sont pas des animaux d'élevage» (Parlement.ch, 2020), renforçant par-là le besoin d’enquêter sur leur exploitation et de la rendre visible.

Références

Association suisse d’aquaculture (ASA). (2022). L’aquaculture en Suisse. Consulté le 15 janvier 2025.

Baumgartner, U., & Bürgi Bonanomi, E. (2021). Drawing the line between sustainable and unsustainable fish: Product differentiation that supports sustainable development through trade measures. Environmental Sciences Europe, 33.

Burnier, P. (2019, 12 juillet). Nos filets de perche adorés venus d’ailleurs. 24 Heures.

Di Matteo, K. (2022, 14 novembre). Le président des pêcheurs du Léman pousse un coup de gueule. 24 Heures.

Haddou, R. (2022, 4 avril). Repeuplement du lac Léman: Des millions de bébés féras jetés dans le grand bain. 24 Heures.

Hidber, E., Janssens, T., Pidoux, M., & Götze, F. (2018). Filière suisse du poisson: Analyse de marché. Recherche Agronomique Suisse, 9(10), 356-363.

Le Bec, E. (2015, 25 avril). Des millions de perches naissent à Chavornay. 24 Heures.

Office fédéral de l’environnement (OFEV). (2025). Statistiques de pêche. Consulté le 24 août 2024.

Parlement suisse. (2020, 22 septembre). 20.4050 Interpellation: L’aquaculture (pisciculture) est-elle considérée comme une activité agricole?

Swiss Lachs. (2024, 28 avril). Le cycle de vie du saumon. Consulté le 13 janvier 2025.


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