Publié le 28 avril 2025
Épisode #4 de notre série d'animation consacrée aux aspects méconnus de l'élevage
En Suisse il est très courant de voir, à la télévision ou dans la rue, des publicités faisant la promotion de produits d’origine animale, en particulier de la viande et des produits laitiers. Cela s’explique facilement par l’existence de lobbys, ces groupes de pression tels que Viande Suisse et Swissmilk, qui sont les branches marketing et communication de Proviande (l'interprofession suisse de la filière viande) et de PSL (la fédération des Producteurs Suisses de Lait). Malgré de nombreuses dénonciations, la Confédération continue de subventionner chaque année la promotion des produits d'origine animale (par exemple en 2022, elle lui a accordé 7,4 millions de francs suisses (Hartmann, 2023)). Début 2024, Greenpeace Suisse a déposé une pétition demandant l’interdiction de la publicité pour les aliments d’origine animale (Sandmeier, 2024).
Passons en revue quelques méthodes et arguments de communication qui sont régulièrement utilisés par les publicistes pour faire la promotion de produits comme la viande ou les produits laitiers.
L’un des arguments les plus utilisés pour promouvoir la viande ou les aliments d’origine animale produits en Suisse est celui de la provenance. Les noms des lobbys Viande Suisse et Swissmilk en sont même imprégnés. Sur le site de Viande Suisse, on peut trouver une série d’articles intitulée «De bonnes raisons de choisir de la viande indigène» (Viande Suisse, 2024). Le lobby a aussi lancé la campagne de communication «La différence est là» en faisant bien la distinction entre «viande indigène» et «viande étrangère». Il existe aussi le slogan «L’essentiel est invisible pour les yeux» du label Suisse Garantie mettant en avant les produits agricoles suisses qui auraient plus de «valeurs intérieures» que les produits importés (Suisse Garantie, 2024). Cet argument est particulièrement présent en Suisse et il est également très courant de retrouver le drapeau suisse ou sa couleur rouge dans les campagnes publicitaires pour accentuer cet aspect «local». Il s’agit d’une forme de nationalisme, et ce rappel au pays de production renvoie à une idée de terroir et de nature. De plus, il sous-entend que les animaux sont mieux traités qu’ailleurs. Même si la législation suisse est plus stricte sur certains points, les animaux à l’origine de ces produits sont élevés dans le seul et unique but d’être exploités puis abattus.
Ce choix peut sembler surprenant, mais la notion de «bien-être animal» est souvent au cœur des campagnes de promotion des produits d’origine animale. Nous pouvons citer par exemple la campagne publicitaire «Le jambon 5 étoiles pour le bien-être animal» de la Migros (PEA, 2023), l’article «Faits concernant le bien-être des animaux» sur le site internet de Viande Suisse (lien vers le site de Viande Suisse) ou encore les slogans comme «Si le lait suisse est aussi bon, c'est parce que nous veillons au bien-être de nos vaches» sur le site internet de Swissmilk (Swissmilk, 2024).
Il est très ironique d’évoquer le bien-être animal alors que dans l’élevage (élevage industriel ou petit élevage en agriculture biologique), les animaux sont utilisés comme des marchandises. La plupart des campagnes de communication montrent des animaux heureux dans la nature et passent complètement sous silence la réalité des conditions de l’élevage et surtout de l’abattage. Lorsque les animaux sont exploités pour la reproduction (par exemple les vaches pour leur lait ou les poules pour leurs œufs), ils sont également envoyés à l'abattoir lorsqu’ils ne sont plus assez «productifs». Lorsque l’on s’intéresse aux méthodes utilisées, comme par exemple l’insémination artificielle des vaches, il est très difficile de parler de bien-être.
Les campagnes publicitaires de Swissmilk mettant en scène la vache Lovely depuis 1993 en sont un bon exemple. Ironiquement cette vache fictive a une espérance de vie bien plus longue que les vaches d’exploitation laitière. L’idée est de montrer une vache heureuse de donner son lait pour nourrir des humain·e·s. Cette image est très éloignée de la réalité quand on sait que les veaux sont séparés de leur mère à la naissance, et que le lait des vaches ne sera pas utilisé pour nourrir des veaux, mais des humain·e·s. Cette technique de marketing, appelée la suicide food (Playoust-Braure, 2022), consiste à faire croire aux consommateurs·rices que les animaux non-humains sont heureux d’être consommés par des humain·e·s.
Une autre technique de marketing est de donner un visage «humain» à l’élevage. Pour cela, les lobbys Viande Suisse et Swissmilk publient des portraits des acteurs et actrices de l’élevage afin de rajouter une dimension humaine en mettant en avant leur souci du bien-être animal.
Nous pouvons citer les «Visages et histoires derrière la viande suisse» par Viande Suisse (Viande Suisse, 2024) ou la série de vidéos «Travailler, pas blablater» de Swissmilk (Swissmilk, 2024). L’objectif derrière ces mises en scène est d’attirer la sympathie des consommatrices et consommateurs mais aussi de donner l’impression d’une échelle individuelle alors qu’il s’agit principalement de grandes entreprises «désincarnées».
Ces méthodes de communication sont d’autant plus discutables puisque le métier d'agriculteur·trice est celui avec le plus haut taux de suicide en Suisse, en particulier dans l'élevage laitier. Les conditions de travail des éleveurs·euses sont très difficiles et malgré leur attachement à cette profession, c’est un métier qui détruit aussi des vies humaines.
Finalement, toutes ces campagnes publicitaires ont pour objectif d’alimenter la dissonance cognitive (ou paradoxe de la viande (Mollier, 2021)) des consommatrices et consommateurs et de raconter une autre histoire, plus acceptable. Cela permet ainsi d’oublier le lien entre la violence de l’exploitation animale, à laquelle la population est d’une manière générale opposée, et ce qui se trouve dans l’assiette. Ces différentes techniques de communication peuvent être rassemblées sous le terme «publispécisme» utilisé par Axelle Playoust-Braure (Playoust-Braure, 2017) pour dénoncer l’utilisation de la publicité au service de l’exploitation animale.
Association PEA - Pour l'Égalité Animale (Le 18 octobre 2023, PEA est devenue l’Observatoire du spécisme.). Label M-Check. Consulté le 21 octobre 2024.
Hartmann, L. (2023, 9 septembre). La confédération veut mieux encadrer la publicité sur la viande. Blick. Consulté le 21 octobre 2024.
Mollier, P. (2021, 7 janvier). Le paradoxe de la viande: aimer et manger les animaux. INRAE. Consulté le 21 octobre 2024.
Playoust-Braure, A. (2017, 4 novembre). Publispécisme: décryptage d'un outil au service de l'exploitation animale. Visionnée le 10 janvier 2025.
Playoust-Braure, A. (2022, 28 juillet). «Suicide food», ce phénomène publicitaire qui fait dire aux animaux: «Mangez-moi!». Le Parisien. Consulté le 10 janvier 2025.
Sandmeier, M. (2024, 9 janvier). 18’715 personnes demandent l’interdiction de la publicité pour les aliments d’origine animale. Greenpeace. Consulté le 21 octobre 2024.
Suisse Garantie. L’essentiel est invisible pour les yeux. Consulté le 21 octobre 2024.
Swissmilk. Bien-être animal. Consulté le 21 octobre 2024.
Swissmilk. Série de vidéos «Travailler, pas blablater». Visionnées le 21 octobre 2024.
Viande Suisse. De bonnes raisons de choisir de la viande indigène. Consulté le 21 octobre 2024.
Viande Suisse. Faits concernant le bien-être des animaux. Consulté le 21 octobre 2024.
Viande Suisse. Visages et histoires derrière la viande suisse. Consulté le 21 octobre 2024.